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29 juin 2008

L'INTRUS DU CREPUSCULE

On a parfois le sentiment que les mots manquent, glissent, échappent, sont insuffisants sur la palette pour faire partager une impression, une émotion. Bien sûr, le besogneux de l’écriture saura toujours associer les vocables, tramer la syntaxe, pour faire naître aux esprits qui le liront, le canevas de ce qu’il vit, paysage, édifice, œuvre d’art. Et pourtant, l’essentiel se sera évaporé. Parler d’une émotion, c’est comme évoquer un parfum. On procède par rapprochements, on extrapole, mais on se contente, dans le meilleur des cas, d’être tangentiel à la réalité, sans jamais l’atteindre. Car pour dire certains élans du cœur, il ne suffit de décrire ce qu’il les a provoqués, ce serait parler d’un son tout en omettant d’évoquer sa résonnance dans le vaisseau d’une cathédrale. Il faudrait à chaque fois, raconter toute une vie, déblayer une à une toutes les couches archéologiques de soi. Fastidieuse entreprise que ce serait là ! Mais, voyez-vous, quoi qu’on en sait par avance l’imperfection, on aime a raconter ses petites joies, avec l’espoir que le lecteur, à défaut de les revivre fidèlement, y trouvera l’écho d’autres, qu’il vécut lui-même.

         J’ai tant aimé les ballades crépusculaires des vacances océanes de mon enfance. Atteindre le rivage, atteindre cette frange où s’étreignent terre et mer, n’était, au fond, que prétexte à mon plaisir. J’aimais de la mer la douceur qu’elle imprimait aux jardins, tout ce qu’on devinait d’elle sans la voir. J’aimais les couleurs vives des fleurs que le soir accentuait ou estompait, des bleus aux rouges. J’aimais la tonalité que l’humeur vespérale donnait aux conversations. Plus intimes peut-être, si cela se pouvait à cette époque. Car je n’étais pas seul dans ces promenades. Aujourd’hui je vis au bord de l’océan.

         J’ai fait, l’autre soir, une ballade vers l’océan, à vélo. J’ai vu les grosses boules bleu-violet des hortensias rivaliser avec la nuit tombante, j’ai senti le parfum entêtant des troènes,  j’ai dévalé les sentes étroites enserrées des murets de pierres et de sombre verdeur.

         Puis la lande déchire mon horizon. Les maisons s’étiolent, la respiration des vagues se fait entendre. Le temps est brumeux. Comment pourrais-je dire à quel point j’aime les brumes estivales qui en désespèrent autant ? Des écharpes cotonneuses, là bas, s’accrochent aux anfractuosités des lointaines falaises de la pointe ultime. La scène est dramatique, le moment semble pouvoir tout enfanter qui nous détourne de la routine. Le chèvrefeuille galope sur les ajoncs nains et jette dans l’air crépusculaire, un encens de densité.

         Je fais déjà, dans ma tête, la provision des mots que je dirai à mon homme, au téléphone. J’aurais tant aimé qu’il soit là à mes côtés.

         Réconforté à l’idée de pouvoir, verbalement, lui donner un peu du pays, je reviens sur mes pas. Je tourne la tête une dernière fois et manque crier devant l’inattendu. Face à moi, sur les hauteurs de la commune ultime, comme apparu de nulle part, l’œil sanglant du soleil a percé les nuées et plonge derrière la ligne d’horizon.

w1

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Commentaires
K
C'est étrange comme ce texte en son début tombe à pic. Depuis qu'il est là, et moi dans mon histoire avec Elena, je n'arrête pas d'y prnser et de revenir le lire.<br /> Va t'il me porter jusqu'au bout ?
K
Est-ce que je vais oser dire que je retrouve ici un pays de mots et de sensations que j'aimais beaucoup et qui me manquaient ?<br /> Jusqu'à cette photo qui fait écho au salut que le soleil m'a fait ce soir par la fenêtre ouverte sur la baie...
M
m connect> Eh bien te voilà premier commentateur du nouveau blog, bienvenue, et merci pout le compliment.<br /> <br /> Maître Cornus> Eh bien, ce que je dis en intro trouve déjà une application on dirait. Bienvenue au pays des vagues.
C
Texte très émouvant et faisant naître plein d'images chez le lecteur. Ou comment le côté très personnel et géographiquement localisé devient universel ? Car bien entendu, cette évocation est probablement transposable pour beaucoup d'entre nous. Et cela n'est pas sans m'évoquer certaines pensées à la fois nostalgiques et que je pense aussi revivre.
M
Je n'ai qu'un mot : ton texte est superbe.
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