UNE REPONSE DIFFEREE

Le mot « trahir » dans la conclusion de mon post précédent n’était, de toute évidence, pas le bon. J’étais préoccupé par la question de la continuité, du fil conducteur, dans l’évolution d’une personne au cours de ses âges. A bien y réfléchir, cette question me sollicite régulièrement depuis longtemps, en toute sérénité, et n’a fait que prendre de l’amplitude à l’occasion de cette expérience sans précédent pour moi de me trouver face à une amie que je n’avais vu depuis vingt quatre ans. Je me souviens notamment avoir été saisi par cette interrogation lors des cinq uniques jours de ma vie où j’exerçai le métier d’instituteur. Je m’occupais, tant bien que mal, d’une classe maternelle où les sections étaient regroupées et me trouvais donc face à de jeunes enfants. J’avais été manipulé par une petite fille très mignonne, qui se savais telle et en usait à loisir pour obtenir ce qu’elle désirait. L’observation de son attitude, ainsi que celle d’autres enfants, m’avait alors fait l’effet d’une découverte à l’époque, à savoir que des traits de caractère dominants que l’on sait reconnaître chez des adultes étaient déjà en place. C’est sans doute une des origines de ce questionnement sur ce qui fait une personnalité, sur la précocité de l’installation des « essentiels » du caractère, qu’on ne pourrait, par la suite, que nuancer.

         J’ai dû pour ma part, à l’époque où je côtoyais F., l’amie mentionnée dans le poste précédent, beaucoup m’observer et me projeter, avec ce narcissisme paradoxal de ceux qui ne s’aiment guère. Et je dois dire que la personne que je suis, ou crois être, aujourd’hui, ne ressemble guère à celui que j’imaginais être à l’époque, dans un futur auquel je ne croyais pas beaucoup. Il faut ajouter à cela, que ma brutale et très tardive acceptation de mon homosexualité, il y a cinq ans, a d’une part donné à l’histoire de ma vie un parcours très accidenté et d’autre part modifié énormément, non pas mon rapport au monde physique – je suis en cela au contraire d’une constance ou « fidélité » pour filer la métaphore du « trahir » inébranlable – mais mon rapport à la société humaine et je ne parle pas ici de l’évidence de ma vie sexuelle et affective. Je veux dire que depuis ces cinq ans, chaque fois que je me présente à quelqu’un, quel qu’il soit et pour quelque raison que ce soit, j’ai l’impression que cette personne a à faire au « nouveau moi », c'est-à-dire quelqu’un de beaucoup plus incarné. Ce n’est bien sûr qu’une impression – néanmoins extrêmement prégnante -, c’est d’une subjectivité totale, mais cela conditionne mon attitude et de ce fait devient un peu réalité.

         On comprend bien que le changement est essentiellement celui du regard sur moi-même et on comprend aussi le mirage qu’il peut provoquer. C’est l’oasis dans le désert qu’on est seul à voir. Qui dit « je ne crois qu’à ce que je vois » pourrait bien se leurrer aussi ! Donc, quand je disais trahir, j’aurais dû utiliser un autre vocabulaire. Celui de l’alchimie peut-être. L’évolution d’un être n’est-elle que chimie – on recombine les éléments existant sans casser la matière, on nuance le préexistant – ou alchimie qui changerait notre nature même. Voilà quelle aurait dû être la question, mais qu’importe puisqu’on y trouve une réponse temporaire.

         Alors F. n’avait-elle rien vu de différent ? Si ! Etrangement je ne l’apprends que ce matin, après que nous avions discuté, Mister Neal et moi, de tout ceci hier soir (après avoir changé de langue ce qui me facilita la rhétorique !). Ce matin, donc, je trouve un mail de F. Court et concis, à son image. Elle me dit qu’elle m’a trouvé changé, mais en des termes tellement plus simples. Peut-être avait-elle envisagé la chose selon le seul paramètre qui compte vraiment : « j’ai vu quelqu’un de plus heureux ».

Comments

[Kleg]

Pour cause de tarte au citron, (Kleg s'overbooke de peu de chose depuis qu'on s'acharne à lui faire penser qu'elle est en retraite !) le commentaire sera lui aussi différé !
Et puis il y a du boued là-dedans, ça mérite lecture attentive et digestion.
Et cela arrive à point pour m'aider (peut-être, à moins que ça soit le contraire) à accoucher d'un post qui se traîne depuis tôt ce matin...