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23 août 2008

24 ANS PLUS TARD

En Bretagne on n’est jamais loin d’une église ou d’une chapelle. Ce sont un peu les amers des terriens, les points d’ancrage des égarés de toute croyance et incroyance, le cardo et decumanus d’où se trame un tissu humain loin de l’orthogonalité. C’est ainsi que F., égarée, m’appelle, ayant jeté l’ancre au pied de la chapelle Saint T., grosse masse rassurante, dernière monumentalité du gothique finissant avant l’Amérique.

Je vais donc la chercher, me gare et aperçois sa silhouette déambulant autour du mur de clôture de l’espace sacré. J’ignore pourquoi je suis si peu sensible à l’art cinématographique, alors que je suis tellement enclin à repérer, dans la vie, les scènes dignes de figurer dans un film. En voici une. Entre le premier et le second plan, ni plus ni moins que vingt quatre ans. Au coin de l’enclos, assis sur le muret de pierre, un couple batifole. La femme est une des mes anciennes étudiantes, devenue depuis une presque voisine. Je la croise partout où je vais ces temps ci. Nous échangeons quelques salutations en breton. Ma vie d’aujourd’hui. A l’arrière, F. s’est retournée et, m’ayant reconnu aussi facilement que je l’ai reconnue, se dirige vers moi. A cette distance, les vingt quatre ans sont abolis, invisibles. L’intrusion fortuite de cette ancienne étudiante dans ces étranges retrouvailles a donné l’échelle du temps, a confronté les vies qui se succèdent. Sans elle, Saint T. n’eût été qu’un décor intemporel, avec elle, il y avait un scénario.

Vingt quatre années que je n’avais vu F. Elle est l’ultime étape de cette entreprise de réparation du quiproquo, commencée il y a cinq ans. La dernière personne de celles qui ont eu quelque importance dans ma vie à ignorer encore, il y a peu, que j’étais homo.

Quelle importance ?

Elle est le seul témoin que je connaisse encore de mon amitié passée avec Christophe. Elle est la seule qui puisse m’entendre raconter l’irréparable erreur que la lâcheté de l’époque me fit commettre envers Christophe, en ayant en tête l’image du couple amical, et insolite, que nous formions. Sur le caractère insolite de notre « couple », sur l’improbabilité que notre amitié ait pu exister, je n’avais rien inventé ni fantasmé. Elle m’en parle exactement comme je l’aurais fait, aucune de ces étrangetés qui m’avaient frappé ne lui ont échappé.

Comment étions nous devenus amis, elle et moi, lui demandai-je ?

Christophe, une fois de plus. Il avait, en quelque sorte, joué les entremetteurs entre nous. Il lui avait parlé de moi, lui avait assuré que nous devions forcément nous entendre. A l’écoute de cette précision me revient en mémoire qu’il avait opéré de la même façon avec moi, à son sujet à elle. « Il y a une bretonne dans ma classe… » Oui, soudain je me souvenais qu’il me parlait de cette bretonne. Nous devions donc nous entendre… nous plaire ? La question me vient, mais je ne la formule pas à voix haute. Christophe, plein de sollicitude à mon égard, voulait-il me… caser ? Christophe dont le meilleur ami de sa seconde vie, retrouvé par le plus extraordinaire des hasards, m’avait lancé cette phrase coup de fléau : Christophe m’avait dit qu’il s’était éloigné de toi parce que tu étais hétéro. Mais les versions divergent. Ah, que ne peut-on faire parler les morts ! F., quant à elle, croit que Christophe lui aurait dit qu’il me pensait homo, mais elle n’est plus trop sûre. Elle s’interrogeait en tout cas sur la nature de nos relations. Ou alors est-ce moi, qui à force de m’emmurer, à force de virtuosité dans le rien laisser paraître, lui ai fait abandonner ses premières intuitions ?

Ou virtuosité à faire accroire autre chose. Mon inaptitude à une certaine sociabilité, mon incapacité à faire sauter les blocages familiaux, paraissaient à l’époque, F. me l’affirme, comme un choix, une forme de retrait du monde, d’ascèse. Comédien de la vie, pour survivre, cacher sa honte. On veut toujours sauver les apparences, au fond.

La seule chose qui transparaissait, bien que je n’en parlasse jamais, était mon hypochondrie. « On s’inquiétait pour ta santé. » Finalement, ce qu’ils voyaient était la part la plus dénuée de réalité, la plus imaginaire de moi. Je n’ai jamais été le moindrement malade.

Entremetteur Christophe ? L’idée me fait enrager. Il aurait fait comme ma mère qui en maternelle m’avait déjà trouvé une petite copine. Lydia, une petite portugaise. Lydia, c’est aussi le nom qu’elle donna à la poupée qu’elle m’acheta sur le marché. Moi, je voulais une éponge de mer, une vraie. L’autre jour, à Brico…, j’ai été à deux doigts de m’acheter une éponge de mer, une vraie. Je ne l’aurais jamais mouillée, je l’aurais mise sur un meuble, comme un bibelot, comme un trophée célébrant la victoire sur toutes les poupées du monde, fuck the dolls !

Avait-il vu juste Christophe, au moins pour moitié ? La réponse m’est apportée sans sollicitation de ma part. F. me balance soudain, sans émotion, avec une froideur analytique : « Je me suis posé la question quand tu as appelé. Etais-je vraiment amoureuse de toi ? » Oups ! Sans doute que non, m’explique-t-elle, elle n’en est pas trop sûre (et elle me tiendra d’ailleurs peu ou prou le même discours concernant un homme avec qui elle a vécu, et puis un autre dont je parlerai plus tard, à tel point que je me sens obligé de dire que quand on est amoureux on le sait, me semble-t-il, je peux en témoigner). En tout cas, j’aurais fait l’affaire. C’était l’âge où il faut songer, ne serait-ce que pour paraître normal(e), à avoir un boy-friend. Je remplissais le cahier des charges.

Sauf que… j’étais homo.  Il y avait donc quelque importance à ce qu’elle le sache !

J’ai repris contact avec F., il y a quelques mois, lors d’un séjour parisien – et la géographie n’est pas anodine dans cette histoire – sans doute à sa grande surprise, car elle pensait, un peu fataliste, qu’après l’échange téléphonique que nous avions eu il y a plus de dix ans, nous en resterions là. J’avais été, me rappelle-t-elle, très froid. Je ne m’en souvenais plus. Mais je n’ai aucune peine à la croire. L’appel téléphonique était motivé par la mort récente de Christophe, des suites du sida, thème de son livre. J’avais sans douté écourté une conversation au cours de la quelle je savais que, par ma propre faute, l’essentiel serait éludé. Il m’était sans doute trop douloureux de prolonger ces moments où je m’entendais mentir effrontément par omission.

La reprise de contact récente, par téléphone, s’accompagnant de mon « coming-out » avait, je ne l’ai appris qu’hier, par un effet d’ironie du sort, beaucoup perturbé F. Elle attendait à ce moment précis, la visite d’un homme dont elle est secrètement amoureuse. Allait-elle se déclarer ? Sur l’homme en question pèse une suspicion… d’homosexualité. C’est juste le moment que choisit un ancien partenaire possible pour l’appeler après des années de silence et lui révéler la sienne !

Oui, je la crois amoureuse. Le sujet de cet homme revient sans cesse. Et, bien sûr, en qualité de spécialiste, je dois l’aider à interpréter les quelques indices ! Qui n’aurait pas peur de se planter en pareille circonstance ? Elle craint soudain d’être, sans le vouloir, une fille à PD !

En toute logique, nous abordons un thème que nous n’aurions pas effleuré, il y a vingt quatre ans (car elle n’était pas très dégourdie sur le sujet, ce que me la rendait sans doute, parmi d’autres choses bien sûr, dont sa grande intelligence, éminemment sympathique) : le sexe. Ah Sigmund ne se trompait guère ! Que de temps consacré à parler cul dans la vie. Elle me pose des questions assez directes qui me surprennent. Et puis, à cette occasion, j’emploie une expression qu’elle remarque et qui l’amuse. « Tu viens d’employer un anglicisme ! » Qu’ai-je donc dit ? En effet, après réflexion, je viens de dire : avoir du sexe avec ! Ca change de « du café tu auras » ! J’en suis étonné, après tout, je ne parle pas anglais si souvent que ça. C’est sans doute que cette façon de dire convenait assez à ce dont je parlais : « baiser » eût été trop vulgaire, « faire l’amour » inadapté.

         Il y eut, assez classiquement, mais sans excès, les « tu te souviens de… ». J’apprends à cette occasion, avec tristesse, que Jean-Philippe D., le professeur d’histoire auquel j’avais consacré un post il y longtemps sous le titre « Vieille_dette_prescrite» est décédé quelques années seulement après avoir été notre enseignant. F. ignore ce que je pensais de lui mais remarque, avec cette qualité d’observation de tous les parcimonieux de la parole : il a dû être important pour toi, il t’a mis en valeur (c’était en fait plus un historien de l’art plus qu’un historien, et dans quel domaine ! Thèse inachevée sur la cathédrale de Rouen.), il était même parfois désarçonné que tu en saches plus que lui. Même mon égo surdimensionné n’avait pas retenu ce détail.

         « Et ce garçon, me dit-elle encore, dont la mère était prof de physique et… » « Ah ! Jean-Baptiste, tu te souviens de Jean-Baptiste ? » « Oui, un petit roquet, on se demandait ce que tu faisais avec lui ! » « Eh bien, vois-tu, c’était certes un petit roquet agaçant au possible, qui faisait du théâtre - et je l’ai suivi dans cette aventure - comme il vivait, en déclamant, mais j’étais amoureux de lui ! » « Ah ! » [« Ah » voulait sans doute dire, tu aurais dû être amoureux de Christophe. J’ai toujours nié ce fait. Mais plus je creuse ce passé là, plus ça s’embrouille, les paradoxes pointent partout. Allez, soyons franc, disons le enfin, qu’est ce que j’ai pu me branler en pensant à lui, Chrsitophe. Alors du désir au moins, sans doute.] « Oui. Ce qui est terrible c’est que c’était réciproque. Le pauvre Jean-Baptiste s’en est donné du mal pour me dégeler. Je le vois encore se trémousser en slip (bien rempli m’avait-il semblé) devant moi dans les loges du théâtre (ah, je ris), je le revois, et c’est sans doute le souvenir le plus émouvant, fiévreux, avant l’arrivée du prof en classe, me caressant soudain le bras et me jetant un regard d’une tendresse infinie. Quel cran ! Peine perdue. Pourtant, j’en mourrais d’envie. »

F. me cite de nouveau Sigmund, sur la capacité au renoncement.

Et puis il y eut aussi, tout aussi classiquement, les photos du présent, ou du passé proche. « Le beau brun. », me dit-elle en voyant Mister Neal. Voila qui me fait plaisir. D’ailleurs, en voyant sa photo, au beau brun, mon cœur se serre. Plus que deux jours d’attente ! J’ai envie à ce moment de redire à F. : « Quand on est amoureux, on le sait. »

Ma conversation avec F. semblait en continuité du passé, sans coupure. Je ne la voyais pas fondamentalement différente, malgré le temps écoulé et son aisance avec moi m’incitait à penser, qu’elle non plus, ne voyait pas fondamentalement un être inconnu devant elle. Dans ma petite tête, j’avais du mal à le concevoir. Elle voyait la continuité, je me pensais tellement différent. Vingt quatre ans c’est un bail, ça permet de prendre la mesure. Ainsi donc, je le savais mais la démonstration a une autre force que la certitude abstraite, on peut se révolutionner sans se trahir.

C’est quoi l’essence d’un être humain ?

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Commentaires
M
ah, oui, sans doute, à lire ton comment je pense soudain que le "mot" trahir ds mon texte n'était pas le bon... mais du coup tu me fais entrevoir d'autres schemas possibles...
K
On peut aussi se trahir, pour tout un tas de raisons, et quand par bonheur, ou par travail, ou par le simple cours de la vie on s'en aperçoit, l'onde de choc fait très mal, mais...si on est pas trop porté à se détester, ça avance. On révolutionne pas, mais on avance.
C
Beaucoup de choses pointent dans ce récit. Je crois bien que j'y reviendrai.
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