SELF IMPRIMATUR
Au début on se dit que… L’idée tournait dans la tête depuis longtemps, on attendait peut-être de manière sans doute infantile un encouragement, on craignait d’exposer ses projets à autrui, de s’entendre dire que c’était une mauvaise idée. Mais au fond, à bien y réfléchir, quand une idée vous trotte ainsi depuis longtemps, c’est qu’elle est bonne pour vous, qu’il faut la mener à bien. Et le pire risque d’obéir aux injonctions de soi-même c’est de faire mieux que d’obéir aux injonctions du raisonnable. Le second obstacle était de traduire mon français pas toujours très simple dans une langue où le simple apparaît parfois compliqué. C’est une expérience très enrichissante. A devoir se traduire, on passe chacune de ses phrases au crible d’une analyse à laquelle ne résisterait pas le verbiage, on se pose à chaque mot la question de sa légitimité. Et il peut-être légitime parfois du seul fait de son euphonie, de la nuance qu’il apporte à la couleur d’ensemble de la phrase. A une petite modification près, les textes d’origine ont tenu bon. J’étais en accord avec moi-même, j’avais bien écrit ce que je voulais écrire, j’étais satisfait. L’autosatisfaction n’a pas bonne presse sans doute, elle peut paraître confiner à l’orgueil, mais j’entends par là que je n’avais pas de repentir, j’ai fait ce que je devais faire, sans présomption de sa valeur.
J’ai traduit très vite, sans blocages sérieux, avec fougue, comme j’écris les textes originaux, quelque soit la langue. Ces jours ci, je relis la version bretonne. J’avais très peur que ce soit illisible, d’avoir manqué de recul. Ce soir je viens de relire « Le Roc », version bretonne, le texte qui m’a demandé la plus d’effort, à cause de la complexité de la première page mais aussi de la gêne que j’éprouvais à décrire une scène si crue en breton. Curieusement, à la relecture, j’ai cru que ce texte avait été écrit directement en breton. J’étais content de cela. Mais dans le même temps, il avait un aspect de nouveauté, forcément, qui m’obligeait à une distanciation, à une redécouverte du texte. J’y ai vu quantité de choses marquantes pour moi, dont je n’avais pas eu autant conscience en l’écrivant. Et la fin m’a glacé.
Bref, ça va être difficile à faire passer, mais ce soir je crois fermement à ce livre, je suis dans cet état d’excitation qui arrive immanquablement à un stade donné de la confection des ouvrages, qui sans préjuger de ses possibilités d’existence réelle, fait qu’à ce moment précis il devient un livre dans l’esprit de celui qui l’a écrit.
Je suis gourmand de ces moments.